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100 Articles

La rentrée littéraire sera, qu’on le veuille ou non, sous le signe de Pierre de Ronsard. C’est une question d’anniversaire symbolique et de commémoration, puisque ce monstre sacré de la poésie française est né en septembre 1524. Mais difficile de ne pas songer, même de manière un peu détournée, à quelques-uns des plus célèbres poèmes de celui auquel nous consacrons un dossier. L’un des romans français les plus importants du moment, Les Derniers Jours du Parti socialiste d’Aurélien Bellanger, ne repose-t-il pas sur la démarche « Mignonne, allons voir si la rose » ? Comment ne pas recommander aux primo-romanciers de ce cru de profiter de ces instants et de méditer sur ces mots, « La jeunesse s’enfuit sans jamais revenir » ? Et les vieux routiers des parutions automnales…

MICHAEL CUNNINGHAM

« Toutes les narrations sont vissées au temps et ne parlent que de ça » C’est une petite famille utopique américaine, à la fois pas très riche, pas très heureuse et au bord de la chute. Voici Daniel, dit Dan, ex-apollon adolescent mué en un mari ventripotent qui, à 37 ans, rêve de ressusciter une carrière de rocker qui n’a jamais existé. Voici son épouse, Isabel, qui travaille dans la presse écrite new-yorkaise mourante dont les chefs prennent encore leurs désirs hors budget pour des réalités, et qui retrouve son couple en voie d’épuisement à la fin de chaque journée. Voici leurs enfants, Violet et Nathan. Et voici Robbie, le frère gay d’Isabel, qui aurait pu devenir médecin mais a préféré faire vœu de « pauvreté professorale », et vit…

MICHAEL CUNNINGHAM

Gaël Faye de retour au pays de la littérature

Un album, quatre EP, un scénario pour le cinéma, un autre pour la bande dessinée, et même un livre-CD. Pendant les huit années qui se sont écoulées depuis la parution de Petit pays, Gaël Faye n’a pas chômé. On le soupçonnerait presque d’avoir voulu faire oublier qu’il était aussi un grand romancier. Peut-être lui fallait-il du temps pour digérer le succès écrasant de ce premier livre pas comme les autres, une histoire inspirée de sa propre vie, qui racontait à hauteur d’enfant le génocide rwandais. Sans doute avait-il également besoin de mettre à distance cette forme d’écriture qui coûte aux auteurs qui se racontent. Mais, peu importe l’absence, on n’efface pas si facilement des mémoires une telle déflagration éditoriale. Pas moins de 1,5 million de lecteurs, trente traductions, dont une…

Gaël Faye de retour au pays de la littérature

« L’animalisation des animaux a entraîné celle de certains humains »

Au début de votre livre, vous déplorez que, dans notre « espace occidental », nous n’individualisions pas les animaux. Nous en faisons de simples représentants de leur espèce… Kaoutar Harchi. Oui, en effet. Dans ce livre, je réfléchis particulièrement à notre souci de nous distinguer des animaux. Notre tradition philosophique est le berceau de cette distinction. Elle a tenu l’animalité pour un état de pleine négativité alors que l’humanité serait, elle, un état pleinement positif. Nous avons cru Descartes, qui disait que l’animal est une machine. Cette idée a prospéré. Elle se trouve désormais au centre du système capitaliste, qui transforme chaque corps en une machine à produire. Les animaux sont ces machines « autres » faites pour procurer du bien, en devenant elles-mêmes des biens d’Homo sapiens. Ce que…

« L’animalisation des animaux a entraîné celle de certains humains »

La galanterie, amie ou ennemie?

SOCIÉTÉ « Il était une fois un pays où on se conduisait poliment… » Dans ce nouveau titre de la collection « Libelle », Peut-on encore être galant ?, qui rafraîchit des polémiques aux termes malmenés par le débat public et médiatique, Jennifer Tamas rectifie avec brio ceux de la galanterie. Aujourd’hui, certains (et certaines) s’y raccrochent pour défendre une manière de séduire typiquement française, joyau de notre culture, contre une tendance américaine à mettre sous contrat chaque étape des rapports de séduction. Les autres répondent en la dénigrant, au prétexte qu’elle ne servirait qu’à maquiller la brutalité de la domination masculine. Comme le montre l’universitaire spécialiste de la réception de la culture classique, « la complexité de la galanterie tient à sa porosité entre art de vivre et art…

La galanterie, amie ou ennemie?

Une voix à la jeunesse d’Iran

Alors que nous rencontrons à Paris Delphine Minoui, de retour de Turquie dont elle couvre l’actualité, ainsi que celle du Proche et du Moyen-Orient, le réformateur Massoud Pezeshkian vient de remporter l’élection présidentielle iranienne. « C’est plus encourageant que d’habitude, mais les Iraniens savent que la décision finale revient au guide suprême, Ali Khamenei », commente l’écrivaine et grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres 2006 pour ses reportages en Iran. Quant à la jeune génération, « audacieuse, effrontée », elle se détourne des urnes, consciente que voter « dans un contexte de mascarade démocratique » serait vain. Cette génération qui refuse le port du voile et manifeste en scandant le slogan « Femme, vie, liberté » au péril de sa vie, c’est celle dont il est question dans Badjens, un…

Une voix à la jeunesse d’Iran

Le dernier des réacs

MAUVAIS ESPRIT Le fait que Patrice Jean ait de nouveau le privilège de cette rubrique ne surprendra personne : il en est citoyen d’honneur. On retrouve dans son nouveau roman son mauvais esprit coutumier, son goût du sarcasme et ses piques à la Philippe Muray contre le progressisme, l’écologisme urbain, le féminisme 2.0, la littérature engagée, les tics du langage politique et autres ridicules de notre temps. Il ne faut cependant pas s’arrêter à cet aspect, si savoureux soit-il : La Vie des spectres est avant tout un grand roman crépusculaire sur le monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire la disparition du monde d’hier tel que l’incarne le héros, Jean Dulac, journaliste à l’ancienne, ex-coco devenu réac, employé dans un magazine où il est spécialisé dans les portraits de personnalités locales. Chaque article…

Le dernier des réacs

C’est ton destin

Dans un testament, on n’est jamais assez précis. Qui sait ce que les descendants feront d’une œuvre, ou d’un simple nom ? L’encyclopédiste Pierre Larousse n’a pas dû se poser ces questions. Son Grand Dictionnaire universel achevé, cet enfant de la Puisaye pouvait s’estimer heureux. Après un tel monument de 23 000 pages, la postérité avait toute chance de lui foutre la paix. Et si le Petit Larousse sert de prétexte à Fernandel pour voyager dans le temps et se faire lécher les orteils par un caprin de la Renaissance, le clin d’œil est joli. Las, depuis sa mort, le 3 janvier 1875, ce bon vieux Pierre Athanase a parfois de curieux restes. L’eût-il cru, si quelque Madame Irma lui avait annoncé que son patronyme illustre et révéré serait accolé…

C’est ton destin

« Un séisme vient de se produire »

À quand remontent les changements les plus profonds du paysage éditorial français ? Jean-Yves Mollier L’apparition de la « pieuvre verte » [Hachette] autour de 1900 a marqué un tournant dans la concentration en France. Le phénomène s’est accentué après 1945 puis dans la décennie 1980-1990. Cette concentration prend une ampleur nouvelle en 2002, quand Jean-Luc Lagardère, aux commandes de Hachette, reprend Vivendi. Deux ans plus tard, son fils Arnaud doit céder 60 % de cette acquisition, ce qui fait naître Editis. Jusqu’ici, les phénomènes de concentration relevaient de l’économie. Le but visé était d’améliorer la rentabilité du secteur. Le récent rachat de Hachette Livre par Vincent Bolloré s’inscrit dans une perspective davantage idéologique, d’où les craintes qu’il a suscitées. Défini comme un « oligopole à frange », c’est-à-dire un…

« Un séisme vient de se produire »

STRASBOURG, VILLE DE MAISONS D’ÉDITION

L’édition française ne saurait se résumer à Paris et à ses alentours. La désignation de Strasbourg en tant que « Capitale mondiale du livre »* cette année nous rappelle toute la vitalité qui caractérise aussi la province dans ce domaine. La ville compte ainsi de nombreuses maisons d’édition singulières, proposant des titres de qualité. Parmi celles-ci, L’Atelier contemporain, reconnu dans le domaine des beaux-arts, ou les Presses universitaires de Strasbourg (PUS), ouvertes à toutes les disciplines scientifiques, tant sous forme d’ouvrages que de revues. La jeunesse et la bande dessinée ne sont pas en reste grâce aux éditions Callicéphale ou aux Éditions 2024. Sans oublier La Nuée bleue, établissement généraliste (même s’il met souvent à l’honneur la région) créé en 1920, appartenant aujourd’hui aux Dernières Nouvelles d’Alsace, et qui fait…

STRASBOURG, VILLE DE MAISONS D’ÉDITION

Extension d’une librairie de rentrée

Mi-juillet, la capitale ne pensait qu’aux Jeux olympiques et à leur cérémonie d’ouverture, pour laquelle les alentours de la Seine commençaient à être bouclés. Non loin du fleuve, à Saint-Germain-des-Prés, un lieu venait de changer de visage. Rue du Four, on connaissait les couleurs vertes de la librairie Canopé. Désormais, place au violet vif de La Lib’ – Librairie de l’éducation. Une « identité visuelle rajeunie » qui enthousiasme la directrice du lieu, Odile Mandalian. Enseigne spécialisée en éducation et en pédagogie, La Lib’ reste l’un des 101 lieux du Réseau Canopé, lui-même opérateur du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, présent dans toutes les académies. Sa mission : la formation et le développement professionnel des enseignants, l’accompagnement dans l’appropriation des outils et environnement numériques. RAZZIA SUR LES…

Extension d’une librairie de rentrée

« Écrire un scénario, c’est aller à l’encontre de ce que je sais faire »

L’INVITÉ À son image de Thierry de Peretti est l’adaptation de votre roman. Quel regard portez-vous sur le cinéma ? Jérôme Ferrari. Je n’ai joué aucun rôle dans cette adaptation, et ça ne m’intéresse pas du tout de le faire. J’ai donc suivi ça de loin. Ce qui ne m’a pas empêché de voir le film deux fois, car j’étais très curieux. Thierry de Peretti est un ami. Ça m’émeut bêtement d’entendre le texte et de voir le personnage à l’écran. Avez-vous réussi à vous détacher suffisamment pour apprécier le film ? J.F. Je n’avais pas d’attente particulière. Je n’étais même pas angoissé. Le film, c’est l’affaire de Thierry. Je lui fais confiance. J’ai découvert avec plaisir la façon dont il a interprété le texte et ce qu’il a fait…

« Écrire un scénario, c’est aller à l’encontre de ce que je sais faire »

ÉCRIT/ÉCRAN(S)

DVD CIVIL WAR ALEX GARLAND METROPOLITAN À quoi ressemblerait une guerre civile aux États-Unis, devenus dictature ? Et quel en serait le traitement médiatique ? C’est là le point de départ, glaçant, de l’écrivain devenu cinéaste Alex Garland (souvenez-vous de son roman La Plage !) dans cette grosse production qui mêle habilement réflexion et grand spectacle. B.L. BARFLY BARBET SCHROEDER ESC Spécialisée dans les gros films d’action, la fameuse compagnie Cannon a toutefois, dans les années 1980, développé quelques projets « d’auteur ». Parmi ceux-ci, on trouve cette évocation d’un pan de la vie de Charles Bukowski (avec la complicité de l’auteur, au scénario), qui vaut en premier lieu pour son magnifique couple à la dérive incarné par Mickey Rourke et Faye Dunaway. B.L. LIVRE LE CINÉMA EN PARTAGE. ENTRETIENS…

Eh bien, dansez maintenant!

Sur le papier, le nouveau projet de Jacques Audiard avait de quoi surprendre, et peut-être inquiéter : mêler transsexualité, comédie musicale et polar. À l’écran, Emilia Pérez est l’un des plus grands films de l’année, et de son auteur. Film audacieux, surprenant, émouvant, autour d’un personnage qu’Audiard a découvert dans Écoute de Boris Razon, un narcotrafiquant désirant changer de sexe, et qu’il a développé pour lui offrir un avenir, pris en tenaille entre une ex-femme qui retrouve son amoureux et ses enfants, auxquels il ne peut dévoiler sa nouvelle identité. Clément Ducol et Camille se sont chargés de la musique et des paroles d’un film qui joue à merveille de ces trois genres : émotion (comédie musicale), tension (film noir), intimité (transsexualité). Bien qu’il ne se soit jamais frotté aux…

Eh bien, dansez maintenant!

Visite surprise

Il y a des films dont on sait les faiblesses mais qui tiennent debout grâce à ses comédiens, ici ses comédiennes : Isabelle Huppert et Hafsia Herzi. La première joue une bourgeoise bordelaise, la seconde, une jeune mère de milieu modeste. Leurs maris sont derrière les barreaux et c’est à l’occasion d’une visite en prison qu’elles se rencontrent et que va naître entre elles, si opposées, une relation amicale. Une façon pour chacune de s’ouvrir au monde. Le scénario de cette Prisonnière de Bordeaux, écrit à trois, par François Bégaudeau, Pierre Courrège et la réalisatrice Patricia Mazuy, s’enferme parfois dans une fausse tension surdialoguée, mais parvient toujours à reprendre le droit chemin grâce à ces deux actrices, si différentes, si complémentaires, si magnifiques. En salles le 28 août.…

Visite surprise

Corbeau pour être vrai

Inspiré d’un comics signé James O’Barr, The Crow a connu une première renommée dans les années 1990 en raison de l’esthétique clip de son adaptation d’alors et de son funeste tournage ayant coûté la vie à Brandon Lee. Trente ans plus tard, voici une nouvelle version de cette histoire mêlant esprit geek et romantisme adolescent, violence décomplexée à la John Wick et nunucherie. Certes, la première heure oscille entre clichés et ennui mortel, mais Bill Skarsgård (le clown de Ça) s’en tire en amoureux furieux, et une certaine inventivité visuelle doit être mise au crédit du cinéaste Rupert Sanders. Bref, pas de quoi lui voler dans les plumes. En salles.…

Corbeau pour être vrai

SÉRIE TÉLÉ En 2013, un épisode de la série Platane imaginait un film où Éric Judor jouait le rôle de Bernardo, et Jean Dujardin celui de Zorro. Dix ans plus tard, ce qui n’était à l’origine qu’une blague devient une réalité avec Zorro, adaptation très libre des aventures du héros imaginé par Johnston McCulley. On y retrouve un Don Diego de la Vega (Jean Dujardin, donc) coulant des jours paisibles dans son hacienda, vingt ans après avoir raccroché le masque et le fouet. En mal de sensations fortes, il va reprendre ponctuellement du service dans la peau du justicier, sans se douter des répercussions que cette décision aura sur son couple. Plus vaudeville que récit romanesque, cette nouvelle version de Zorro fascine par sa propension à ne jamais vraiment se…

Demandez le programme!

Théâtrophiles, à vos marques ! Pourquoi attendre les premières créations de cette saison, annoncées pour la mi-septembre dans les grandes salles parisiennes avec des « stars » en tête d’affiche (François-Xavier Demaison à Édouard-VII, dans La Famille, la nouvelle pièce de Samuel Benchetrit ; Clovis Cornillac à la Madeleine, avec Dans les yeux de Monet de Cyril Gely ; Bernard Campan à Antoine, dans Check Up, la nouvelle comédie de Sébastien Thiéry…), alors que la majorité des cent trente salles de la capitale ont rouvert, offrant, en veux-tu en voilà, des spectacles en tout genre, dont, pour les retardataires, de nombreuses reprises de succès, parmi lesquels, au La Bruyère, le très émouvant Oublie-moi, avec Marie-Julie Baup et Thierry Lopez (quatre Molières); au Palais-Royal l’inusable Edmond d’Alexis Michalik ou encore, au…

Demandez le programme!

Petit assassin deviendra grand

Pierre angulaire de l’heroic fantasy, L’Assassin royal de Robin Hobb a su, tout au long de ses 19 tomes écrits sur près de vingt ans, fédérer une communauté d’aficionados comparable à celles de Game of Thrones ou du Seigneur des anneaux. En attendant une potentielle adaptation télé et/ou cinématographique – véritables arlésiennes –, la saga littéraire aux 4 millions d’exemplaires vendus en France se fraie un chemin de traverse par le biais du comics avec ce premier tome signé Jody Houser, Ryan Kelly… et, bien entendu, Robin Hobb. Lorsque le fils illégitime du prince Chivalry est abandonné par un fermier au frère dudit prince, la vie du jeune garçon change à jamais. Rebaptisé « Fitz » par ses nouveaux gardiens, il se retrouve plongé dans les intrigues complexes des cours…

Petit assassin deviendra grand

LE PODCAST Bookmakers, avec Nancy Huston Le podcast littéraire de Richard Gaitet pour Arte Radio poursuit son chemin avec un sublime numéro estival. Cet entretien au long cours avec la Canadienne Nancy Huston offre une plongée fascinante dans la fabrique de l’écrivaine aux plus de 70 livres. LE DOCUMENTAIRE Orange mécanique, les rouages de la violence Arte.tv continue son incroyable série de documentaires littéraires en se penchant sur une œuvre polémique, le roman choc d’Anthony Burgess, adapté au cinéma par Stanley Kubrick. Et si ce récit d’anticipation, longtemps accusé d’être une insupportable ode à la violence, était en fait la vision d’un monde en train d’advenir ? LE COMPTE YOUTUBE Milène Tournier Elle est la pionnière d’un nouveau médium : le vidéo-poème. Sur sa chaîne, Milène Tournier partage des clips…

Jardin artificiel

En plus de son œuvre romanesque foisonnante, qui prête parfois le flanc à la polémique pour son rapport à la vérité et à la fiction, Alexandre Jardin est connu pour son indécrottable optimisme. Dernière manifestation de ce syndrome qui se fait de plus en plus rare, l’écrivain a lancé, juste avant l’été, une plateforme Web inspirée par ChatGPT, l’outil conversationnel de l’entreprise américaine OpenAI, qui promet de mettre l’intelligence artificielle au service des auteurs. Présentée par l’écrivain dans une vidéo réalisée dans la cour d’honneur du Palais-Royal, au milieu des colonnes de Buren, Yourscrib.ai adresse aux écrivains ce credo : « Nous vous aidons à écrire votre propre livre en partant de vous et en dessinant vos intimes racines littéraires. » Influencé par sa relation avec l’éditrice de ses débuts,…

Jardin artificiel

● À ÉCOUTER

LA CHUTE DE LAPINVILLE BENJAMIN ABITAN, WLADIMIR ANSELME ET LAURA FREDDUCCI (ARTE RADIO) ■ Première fiction quotidienne en podcast d’Arte Radio, La Chute de Lapinville aura rencontré d’emblée un succès plus que mérité. Chaque jour de la semaine, en cinq minutes chrono, ce feuilleton sonore honore la promesse d’épisodes aussi hilarants que féroces, dans un monde où la mafia finance l’industrie du podcast et sur lequel plane la menace d’une apocalypse. VIPÈRE AU POING D’HERVÉ BAZIN LU PAR THIBAULT DE MONTALEMBERT (AUDIOLIB) ■ Lauréat du grand prix du Livre audio 2024 dans la catégorie « classique », le premier roman, largement autobiographique, d’Hervé Bazin met en scène le combat entre le jeune Brasse-Bouillon, ses frères et une mère cruelle, Folcoche. À ce récit d’une violence familiale éprouvante, la lecture du…

Destins intoxiqués

Morte à 36 ans par suicide, l’écrivaine québécoise Nelly Arcan (1973-2009) a développé son œuvre très sombre autour de sujets inspirés de sa propre vie : la prostitution, les stéréotypes, les apparences… Icône de la pop culture, internée par son père et mise sous tutelle pendant treize ans, la chanteuse américaine Britney Spears a traversé des controverses incessantes depuis ses débuts, avec des tenues de scène qui ont choqué l’Amérique et une vie privée dont les médias se sont tristement délectés. L’écrivaine et chanteuse Louise Chennevière tisse un lien entre ces deux destins de femmes brisées dans un récit, Pour Britney, fondé sur sa propre enfance, celle d’une petite fille ayant grandi dans le modèle de la chanteuse de Baby One More Time et Toxic, avant de s’affranchir d’une image…

Destins intoxiqués

Mais qui était « le con de minuit »?

EN QUESTIONS « Je voudrais te dire je t’aime, mais je n’ose pas/Je voudrais te dire je t’aime, mais je ne sais pas comment te le dire/Je voudrais te dire je t’aime avec des fleurs. » Cette nuit de décembre 1995, l’antenne de Fun Radio laisse ainsi la parole à un auditeur pas comme les autres : un sans-abri des Hauts-de-Seine qui appelle d’une cabine téléphonique pour lire des poèmes. Une aubaine, pour l’émission Star System de Max, que ce futur invité récurrent : Gérard de Suresnes. Un héros malgré lui auquel le journaliste Thibault Raisse rend hommage dans Le Con de minuit. Né en 1961, Gérard Cousin (son vrai nom) connut une enfance difficile, placé de famille en famille, et enchaîna les petits boulots. Un temps chauffeur routier, ce…

Mais qui était « le con de minuit »?

De quoi l’inflation est-elle le nom?

En économie, il faut se méfier des explications évidentes. Ainsi de cette inflation qui rogne depuis trois ans le pouvoir d’achat des salariés. Beaucoup la rattachent à la hausse du prix de l’énergie. Or la vague a démarré un an avant la guerre en Ukraine… Serait-elle due au déséquilibre entre l’offre et la demande qu’a généré la pandémie de covid ? En ce cas, elle aurait dû cesser dès la reprise de la production. Quid, alors, de l’afflux de monnaie mis sur le marché par le « quoi qu’il en coûte » ? Dans Inflation. Qui perd ? Qui gagne ? Pourquoi ? Que faire ?, les auteurs confirment qu’aucune de ces pistes ne rend compte du phénomène, lequel a des conséquences contrastées, positives ou négatives, sur les classes sociales.…

De quoi l’inflation est-elle le nom?

Katharina Grosse, l’art de l’éphémère

Le Centre Pompidou-Metz, imaginé par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines, démontre encore son audace en conviant l’une des figures de proue de l’art contemporain allemand, Katharina Grosse, 62 ans, à investir la Grande Nef pour une installation monumentale au titre très poétique, Déplacer les étoiles. Elle s’approprie le lieu, qui bénéficie d’une hauteur sous plafond de 20 mètres, pour ériger une sublime œuvre éphémère, élaborée avec 8 250 mètres carrés de tissu polyester couvert de peinture acrylique pulvérisée avec un aérographe et suspendu à différents endroits au-dessus de nos têtes, pour tomber au sol en cascade et composer ainsi un gigantesque drapé au sein duquel le visiteur est invité à déambuler. Une expérience immersive totale, puisque ce dernier participe au processus créatif en imprimant à chaque passage…

Katharina Grosse, l’art de l’éphémère

UNE RENTRÉE REMARQUABLE À VILLENEUVE-SUR-LOT

L’événement, qui avait accueilli plus de 4 000 visiteurs en 2023, promet cette année encore un week-end chargé, rythmé par de nombreuses animations, débats et rencontres avec près de 70 auteurs représentant tous les genres littéraires. Parmi eux, Yasmina Khadra, invité d’honneur de l’édition, présentera Cœur-d’amande. Le parrain et la marraine de l’événement, Hervé Le Tellier (lauréat du prix Goncourt en 2020) et Corinne Royer (Ceux du lac), seront présents lors de la soirée d’inauguration, prévue le vendredi 27 septembre au théâtre municipal Georges-Leygues. À cette occasion, le prix du roman Villeneuve se livre sera décerné à l’un des six titres présélectionnés : Horn venait la nuit de Lola Gruber (Christian Bourgois), La Géométrie des possibles d’Édouard Jousselin (Rivages), Le Gardien sans sommeil de Guillaume Huon (Calmann-Lévy), Le Ciel en…

UNE RENTRÉE REMARQUABLE À VILLENEUVE-SUR-LOT

Que la fête commence!

Du 20 au 22 septembre, Livres dans la Boucle revient pour une nouvelle édition et confirme son statut d’incontournable de la rentrée littéraire. Au cœur d’une ville amoureuse des livres, qui a vu naître Victor Hugo, ce sont plus de 200 auteurs qui célébreront, le temps d’un week-end à Besançon, la magie des mots. Parmi les romanciers ayant annoncé leur participation, outre le président d’honneur de cette 9e édition, Bernard Minier, on compte Kamel Daoud, Gaël Faye, Marie Vingtras, DOA, Yann Queffélec ou Alice Zeniter. Un plateau de haut vol qui offrira des rencontres passionnantes. Cette année encore, le festival donne une place de choix à la jeunesse et à l’imaginaire avec la présence d’auteurs comme Jacky Schwartzmann, Lily-Belle de Chollet et Sébastien Gendron, mais aussi grâce à des initiatives…

Que la fête commence!

HOMMAGE À FRANÇOISE SAGAN

Livres dans la Boucle a mis les petits plats dans les grands pour célébrer comme il se doit l’année Sagan. Le festival rendra hommage au « charmant petit monstre » à l’occasion des 20 ans de sa mort (le 24 septembre 2004) et des 70 ans de la publication de son premier roman devenu culte, Bonjour tristesse (en mars 1954). Au programme, deux soirées littéraires exceptionnelles. D’abord un spectacle mis en scène par Alex Lutz dans lequel la comédienne Caroline Loeb donnera voix à Je ne renie rien, un recueil d’interviews de la romancière. Ensuite une performance mêlant littérature, musique et scène dans laquelle la comédienne et romancière Viktor Lazlo, avec la collaboration de l’Orchestre Victor Hugo, donnera une lecture de textes choisis de l’œuvre de Françoise Sagan.…

HOMMAGE À FRANÇOISE SAGAN

3 QUESTIONS À… BERNARD MINIER

LIVRES DANS LA BOUCLE Comment avez-vous réagi à cette nomination ? Ce sera un week-end de grandes premières pour moi. D’abord une première à Besançon. Je ne connais la région que grâce à ce que j’ai lu dans Le Rouge et le Noir de Stendhal. Mais aussi une première en tant que président de festival ! C’est un privilège. Je reviens de loin, j’ai publié mon premier livre à 50 ans, j’ai eu une première vie de douanier avant ça. Me voir confier la présidence d’un des rendez-vous de la rentrée littéraire, c’est un aboutissement. Comment concevez-vous ce titre honorifique ? Dans « festival », il y a « fête ». J’y tiens. Donc je mets la joie et la célébration avant toute chose, avant même de penser à une…

3 QUESTIONS À… BERNARD MINIER

L’AVIS DES LECTEURS

SUCCÈS/PALMARÈS 1* Le Barman du Ritz Philippe Collin (Albin Michel) « Philippe Collin prend à bras-le-corps la vie de Frank Meier pour nous la proposer à sa lumière. Et cette vie, exceptionnelle, devient savoureuse, tant l’historien journaliste aime recréer, en sept parties, l’ambiance de l’entre-deux-guerres jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le bar élégant du Ritz évolue sous nos yeux, avec ses privilégiés, artistes, banquiers ou autres, qui côtoient les officiers nazis. […] Frank Meier est juif, émigré de l’Empire austro-hongrois, ayant vécu à New York, où il a appris son métier de barman. […] Oubliant la classe sociale d’où il vient, [il] est connu et reconnu dans le Tout-Paris, même si c’est, comme aime à le rappeler l’historien, dans un rôle de subalterne ! […] Le lecteur…

L’AVIS DES LECTEURS

Pierre Adrian LE GRIMPEUR DES SEPT COLLINES

Rome, début juillet. Arrivant de Paris, on a gagné 15 degrés en deux heures de vol. Le taxi nous fait traverser un décor de carte postale assommé par la canicule, ordinaire ici, malgré l’ombre des pins parasols. À 100 mètres de la Trinitédes-Monts se dresse la Villa Médicis, où Pierre Adrian a été admis pour un an, en septembre dernier, en compagnie de deux autres écrivains, Laure Limongi et Céline Curiol. Il nous accueille à l’entrée de ce « phalanstère français ». Nous frappe d’emblée la silhouette affûtée de ce trentenaire qui est un peu le Thibaut Pinot des lettres. Comme le coureur cycliste, vainqueur du Tour de Lombardie en 2018, Adrian est habité par un romantisme purement italien – nous aurons l’occasion d’y revenir. Avant de parler vélo, on…

Pierre Adrian LE GRIMPEUR DES SEPT COLLINES

Les amours frénétiques

En 1831, quand paraissaient Notre-Dame de Paris, Le Rouge et le Noir et d’autres pépites du filon romantique, Hippolyte Souverain, un éditeur en herbe, publiait, sans nom d’auteur, La Prima Donna et le Garçon boucher, un roman qui ne fit guère de bruit. Complètement oubliée aujourd’hui, voilà pourtant une curiosité littéraire qui mériterait exhumation comme un des premiers échantillons du courant « frénétique » qui va prospérer sous le règne du « roi bourgeois », avec Petrus Borel, Xavier Forneret, Lassailly, Aloysius Bertrand… La Revue de Paris voyait « dans cette façon de titre apprêté en contraste toute une école littéraire. L’Âne mort et la Femme guillotinée, Louisa ou les Douleurs d’une fille de joie. Ce sont […] de la terreur croisée de peintures voluptueuses, du drame pris, laissé, repris,…

Les amours frénétiques

Pierre de Ronsard Le premier poète moderne

Chacun se souvient de sa plus célèbre ode qui nous parle de rose qui fane et de jeunesse à cueillir. Mais Pierre de Ronsard a été bien davantage que l’auteur de memento mori intéressés à l’attention des jeunes filles ! « Poètes des princes » (il officia comme aumônier auprès du roi Charles IX), et reconnu par ses pairs comme « prince des poètes », il fut aussi un ardent promoteur de ces formes modernes qu’étaient le sonnet et l’alexandrin, et surtout le chef de file de la Pléiade, ce groupe de lettrés qui cherchait à imposer le règne du français littéraire, en lieu et place du latin, par l’imitation des antiques. Cinq siècles de littérature découlent de leur combat… Plonger dans la vie et l’œuvre de Ronsard, c’est rencontrer…

Pierre de Ronsard Le premier poète moderne

Cour, guerres et gloire LA VIE INSPIRÉE DU ROI DES SONNETS

« Je suis troublé de fureur,/Le corps me frémit d’horreur,/[…]/Une Deité m’emmène :/Fuyez peuple, qu’on me laisse !/Voicy venir la Déesse/Fuyez, peuple ; je la vois1. » Pour Pierre de Ronsard, le poète est un voyant, un prophète, le vates des Anciens. Possédé par la fureur poétique, il parle une langue divine. Il est l’inspiré des Muses, filles de Zeus et de Mnémosyne, créant un lien entre les dieux et les hommes. Le poète est un prêtre. Il conseille les princes, il guide les hommes. Il faudra attendre Victor Hugo pour retrouver une conception aussi haute de la poésie. À cette différence près – et elle est capitale – que les poètes romantiques nous parlent d’eux sur le ton de la confession, alors que les poètes de la Renaissance parlent…

Cour, guerres et gloire
LA VIE INSPIRÉE DU ROI DES SONNETS

Avec Dorat, Baïf, Du Bellay… AUX SOURCES DE LA PLÉIADE

Tout commence en 1549, à Paris, quand une bande d’étudiants du collège de Coqueret, situé sur la montagne Sainte-Geneviève à Paris, se constitue en « Brigade ». Leur point commun ? Ils ont suivi les leçons du principal de l’établissement, le célèbre humaniste Jean Dorat (1508-1588). Né à Limoges de parents pauvres et doté d’une mémoire prodigieuse, cet helléniste fut d’abord le précepteur de Jean-Antoine de Baïf (1532-1589) et de Pierre de Ronsard, avant de devenir leur enseignant au collège de Coqueret, où il est nommé en 1547. Deux ans plus tard, Joachim Du Bellay (1522-1560) les rejoint. Le trio de Coqueret est né. À ses fervents disciples Jean Dorat enseigne le latin à partir du grec, dans la tradition des humanistes du siècle précédent. Ce faisant, il leur donne…

Avec Dorat, Baïf, Du Bellay…
AUX SOURCES DE LA PLÉIADE

Une « plume de fer » FACE À LA RÉFORME

« Prenant le papier et l’encre de colère,/De ce temps malheureux j’écrivis la misère. » Du « prince des poètes » la postérité a souvent loué la poésie lyrique, les Odes, les Amours et les Sonnets, oubliant parfois son statut de « poète des princes », auteur des Discours des misères de ce temps (1562), d’une Remontrance au peuple de France (1563) et d’une Réponse aux injures et calomnies (1563). Poète et aumônier du roi Charles IX dès l’accession au trône de ce dernier, en 1560, Ronsard confère à ses écrits une dimension politique et entreprend d’en redéfinir la nature et le rôle. Ses Discours témoignent d’une poésie engagée, d’une « plume de fer sur un papier d’acier » qui s’illustre notamment lorsque la première guerre de religion éclate en…

Une « plume de fer »

FACE À LA RÉFORME

De l’art en Abrégé L’ANTIQUITÉ DU STYLE, LA MODERNITÉ DE LA LANGUE

L’année 1565, lorsque paraît son Abrégé de l’art poétique français, Ronsard est un poète glorieux, révéré par ses pairs et même adoubé par la cour : en novembre, il reçoit en effet la visite de Charles IX et de Catherine de Médicis au prieuré Saint-Cosme, près de Tours, où il vient de s’installer. C’est alors, entre savants et littérateurs, une période d’intenses discussions, de polémiques, de joutes passionnées au sujet de la langue française, des formes poétiques, des figures de style, des mots permis ou interdits. Certes, l’ordonnance de Villers-Cotterêts, signée par François Ier en 1539, avait imposé le français comme langue officielle du pays. Mais, justement, qu’était-ce alors que le français ? Si la recherche d’une normalisation grammaticale en accord avec les mœurs, les conceptions scientifiques et politiques du…

De l’art en Abrégé
L’ANTIQUITÉ DU STYLE, LA MODERNITÉ DE LA LANGUE

ALLONS VOIR CHEZ RONSARD

Depuis environ trente ans, l’écrivain Franck Maubert vit près des bords du Loir, dans une demeure du XIXe siècle. « Je baigne dans le vert de Ronsard et ses vers se mélangent à ma vie », écrit-il dans le premier des onze textes qui composent son livre Avec Pierre de Ronsard. Lauréat du prix Renaudot essai en 2012 pour un ouvrage sur Alberto Giacometti et son ultime muse (Le Dernier Modèle), l’auteur avait publié il y a deux ans Histoires naturelles, florilège de textes sur son intimité avec la nature. Cet ouvrage en est une continuité : « Ici, rien de grandiose, de la finesse, de la discrétion : un paysage humble que cette étroite vallée, domaine des saules, des trembles, des peupliers, des aulnes, modestement ensevelie entre les deux…

ALLONS VOIR CHEZ RONSARD

Étude de poème L’ÉLÉGIE D’UN PIONNIER DE L’ÉCOLOGIE

« Il faut que le cœur seul parle dans l’élégie », écrira Boileau dans son Art poétique. Ronsard, lui, fait feu de tout bois : hauteur mythologique, rusticité bucolique, colère ou sensualité… Ainsi, sa célèbre élégie contre la déforestation est aussi un texte politique contre le futur Henri IV. L’ambition du poète est cosmique : tout est matière à son chant. Déjà, dans les Odes, couché sous ses ombrages verts, Ronsard avait honoré la forêt de Gastines : « Toi, qui sous l’abri de tes bois/ Ravi d’esprit m’amuses ;/Toi, qui fais qu’à toutes les fois,/Me répondent les Muses. » La forêt dépendait du duché de Vendôme, la terre natale de Ronsard. C’était aussi le domaine des ancêtres de Henri de Bourbon, futur Henri IV, élevé dans le protestantisme. Quand…

Étude de poème
L’ÉLÉGIE D’UN PIONNIER DE L’ÉCOLOGIE

Contre les bûcherons de la forêt de Gastines

PIERRE DE RONSARD Quiconque aura premier la main embesognéeÀ te couper, forêt, d’une dure cognée,Qu’il puisse s’enferrer de son propre bâton,Et sente en l’estomac la faim d’Érisichthon,Qui coupa de Cérès le chêne vénérable,Et qui, gourmand de tout, de tout insatiable,Les bœufs et les moutons de sa mère égorgea,Puis, pressé de la faim, soi-même se mangea :Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,Et se dévore après par les dents de la guerre. Qu’il puisse, pour venger le sang de nos forêts,Toujours nouveaux emprunts sur nouveaux intérêtsDevoir à l’usurier, et qu’enfin il consommeTout son bien à payer la principale somme. Que toujours sans repos ne fasse en son cerveauQue tramer pour néant quelque dessein nouveau,Porté d’impatience et de fureur diverse,Et de mauvais conseil qui les hommes renverse. Écoute, bûcheron, arrête un…

Contre les bûcherons de la forêt de Gastines

Vu d’aujourd’hui « RONSARD EST INÉGALÉ »

IRÈNE FRAIN « La philosophie du carpe diem » « J’aime Ronsard en voisine. Je m’explique : depuis des années, je passe mes étés dans une maison située à quelques kilomètres du manoir où il a grandi. Il n’y retournait, disait-il, que tous les vingt ou trente mois, chaque fois plus convaincu de la fugacité des choses et de l’impérieuse nécessité de jouir de l’instant. À mon tour, en ce Vendômois où je reviens bien plus souvent que lui, j’essaie de faire mienne cette leçon en partant sur ses traces, ce qui n’est pas si difficile : toutes les images de ses poèmes ont surgi ici ou dans le souvenir d’ici. Je ne remercierai jamais assez ce vieux voisin hanté depuis toujours par les fleurs fanées et les eaux fugitives…

Vu d’aujourd’hui
« RONSARD EST INÉGALÉ »

Marie Vingtras AUTANT EN EMPORTE LE VENT

Lorsqu’on cite le nom de Vingtras, c’est notre Jules Vallès national qui, pour l’amoureux de littérature française, pointe le bout de son nez. Souvenez-vous de la trilogie « Jacques Vingtras », emblème de la littérature IIIe République – L’Enfant, Le Bachelier et L’Insurgé. Mais on sait moins qu’une grande figure féministe, la journaliste Séverine (1855-1929), qui fut un temps à la tête du fameux journal Le Cri du peuple, utilisa, entre autres noms de plume, celui d’« Arthur Vingtras ». Un pseudonyme en entraînant un autre, c’est en hommage à cette « femme assez originale, dreyfusarde, pas vraiment suffragette », qu’une romancière contemporaine a choisi de s’appeler… Marie Vingtras. L’histoire est ainsi. Vous n’avez d’ailleurs pas pu échapper à son premier roman, Blizzard, paru en 2021, qui a créé un…

Marie Vingtras
AUTANT EN EMPORTE LE VENT

FÉROCES ET THANATOS

C’est une petite cité sans histoires, nichée quelque part aux États-Unis, « une ville calme, endormie presque, avec ses deux clubs de bingo, son association de vétérans et sa shérif qui préfère les femmes ». Bienvenue à Mercy, dont l’apparente quiétude est bouleversée, un beau jour de printemps, par la découverte du corps sans vie d’une adolescente. Le récit dure un an – quatre saisons durant, quatre personnages différents détricotent les événements qui ont mené à l’horreur et à la rupture d’un fragile équilibre. Car, dans ce huis clos en plein air, les personnages sont prisonniers de leurs mensonges, de leurs non-dits, rancœurs et regrets, cultivés à Mercy ou expiés à Mercy. Après le très remarqué Blizzard, Marie Vingtras signe avec Les Âmes féroces un deuxième titre qui confirme, en…

FÉROCES ET THANATOS

Sexe et littérature ELLES REPRENNENT LA MAIN SUR LE DÉSIR FÉMININ

S’il est toujours hasardeux de désigner des tendances dans une rentrée littéraire, voici un thème qui se détache sans opportunisme mais avec force : le désir. Vu par les femmes, il est au cœur d’une quinzaine d’ouvrages de fiction ou d’autofiction, qui nous emmènent loin des sentiers battus. Le plus attendu est sans doute celui d’Emma Becker [lire entretien page 62], son sixième livre, Le Mal joli (Albin Michel), relation d’une passion empêchée. Autrice précoce, ex-travailleuse du sexe dans une maison close à Berlin, féministe sans chapelle, citant les Propos sur le bonheur du philosophe Alain et décrivant un anulingus avec le même style enlevé, cru, tantôt saganesque, tantôt inspiré des libertins du XVIIIe siècle, Emma Becker fascine autant qu’elle divise la critique et les lecteurs. Si les librairies spécialisées…

Sexe et littérature

ELLES REPRENNENT LA MAIN SUR LE DÉSIR FÉMININ

TROIS QUESTIONS À OVIDIE

Pour évoquer le désir en littérature, que change le prisme féminin ? Ovidie. On ne raconte pas la même histoire avec ou sans expérience du corps. Une femme va plus facilement traiter la question du viol, par exemple, que la majorité des hommes, qui ne vivent pas forcément avec cette crainte. Par ailleurs, la littérature est abordée aujourd’hui par le prisme non plus féminin, mais féministe. Nous sommes toutes préoccupées par la déconstruction et par le consentement, thèmes que l’on retrouve dans les romans, mais aussi dans les essais et les témoignages. Que dit cette évolution du milieu de l’édition ? O. On remarque que l’on change d’époque, que le milieu de l’édition évolue, mais qu’il s’est également rendu compte que cela se vend très bien. Certains de mes projets…

TROIS QUESTIONS À OVIDIE

DES ROMANS TRÈS GRAPHIQUES

LE DÉSIR FÉMININ La BD a toujours été le lieu de l’exploration de toutes les sexualités. Quand les autrices s’en emparent, la création se fait protéiforme, allant du manifeste féministe à la fiction érotique. Ces quinze dernières années, les chroniqueuses vedettes du magazine numérique Madmoizelle ont contribué à l’enrichissement du genre, telles Cy. avec Le Vrai Sexe de la vraie vie (Lapin, 2016) et Maïa Mazaurette avec son Anti-Kamasutra à l’usage des gens normaux (Fluide Glacial, 2009). Publié en 2010, Le bleu est une couleur chaude de Jul’ Maroh est, à sa sortie, l’un des rares albums à succès mettant en scène une passion entre deux lesbiennes. Trois ans plus tard, Abdellatif Kechiche l’adapte au cinéma, sous le titre La Vie d’Adèle, et triomphe à Cannes. Alliant histoire, culture populaire…

DES ROMANS TRÈS GRAPHIQUES

ENTRETIEN « Quand on traite de la vie humaine, il y a forcément du sexe »

Dans Le Mal joli, vous êtes d’abord une femme empêchée. Comment cela agit-il sur votre désir et votre écriture ? Emma Becker. Tout une part du désir est hypertrophiée par l’empêchement, c’est certain. Dès que j’ai eu des enfants, j’ai été contrecarrée dans la satisfaction de mon plaisir. Mais sans cela je n’aurais pas écrit L’Inconduite ni Le Mal joli. C’est une infortune heureuse, finalement, cet empêchement. Quel rapport entretenez-vous avec votre corps, au cœur de ce livre ? E.B. J’ai derrière moi une jeunesse très libre. J’ai eu beaucoup d’amants, j’ai travaillé dans un bordel où mon corps était mon outil de travail, où l’image que je renvoyais était très importante, sans que je développe une relation de tyrannie avec moi-même. J’ai écrit Le Mal joli à 35 ans,…

ENTRETIEN
« Quand on traite de la vie humaine, il y a forcément du sexe »

Celles qui restent

Le Pays de Nulle part est de ces livres dont on perçoit l’impérieuse beauté et dont on ne sait comment parler. Comment chronique-t-on le récit que fait une autrice de l’expérience de la mort de son bébé ? Doan Bui a mis dix ans à exhumer les notes prises après le cataclysme. Elle a affronté l’infini chagrin, le dégoût d’elle-même, la culpabilité, la honte, car, dans la communauté vietnamienne dont elle est issue, la pudeur s’impose. Déjà mère de deux filles, elle a eu besoin de rejoindre sa toute petite, Mê-Lihn, par l’écriture, jusque dans le « pays de Nulle part » où l’enfant réside désormais, après quinze jours passés sur terre dans une couveuse, bardée de tubes et de moniteurs. Et une intolérable agonie. Comment affronter cela ? Seule…

Celles qui restent

KAMEL DAOUD La décennie noire en face

Kamel Daoud n’est pas un homme de silence. Journaliste et chroniqueur, il a d’abord fait résonner ses mots dans divers médias, avant de rencontrer la littérature avec Meursault, contre-enquête, réécriture postcoloniale de L’Étranger de Camus, auréolée du prix Goncourt du premier roman. Mais, depuis Zabor ou les Psaumes, l’écrivain semblait avoir déserté la fiction. Par manque non pas d’inspiration, nous indique-t-il à l’occasion d’un entretien pour Lire, mais « de liberté au sens le plus large ». Kamel Daoud est né en 1970 à Mesra, en Algérie. Ses prises de position sur cette rive et l’autre de la Méditerranée lui ont valu bien des inimitiés, jusqu’aux menaces de mort. Fin 2014, il est la cible d’une fatwa après des propos sur son rapport à l’islam. En 2016, à la suite…

KAMEL DAOUD La décennie noire en face

QUI SERA LE PRIX TALENT CULTURA 2024 ?

Faire émerger de nouveaux noms ? Tel est l’objectif du prix Talents Cultura, qui, depuis sa création en 2003, a mis en lumière des auteurs désormais aussi installés que Nicolas Mathieu, Leïla Slimani ou Gaël Faye. Pour l’édition 2024, l’enseigne culturelle redéfinit cette mission dans une nouvelle version. Ainsi, près de 1 000 clients issus de 40 clubs de lecture ont composé une sélection de huit titres de la rentrée, dont voici la liste : Faïel et les histoires du monde, de Paolo Bellomo (Le Tripode) ; Un jour, il n’y aura plus de pères, de David Frèche (Le Rocher) ; Les Os noirs, d’Agnès Jésupret (Liana Levi) ; Les Vérités parallèles, de Marie Mangez (Finitude) ; Fragile/s, de Nicolas Martin (Au diable vauvert) ; La Ballerine de Kiev, de…

QUI SERA LE PRIX TALENT CULTURA 2024 ?

L’ombre du tabou

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • ÉVÉNEMENT Professeur et écrivain, Youssef vit à Paris depuis vingt-cinq ans. Lorsque sa mère est morte, il y a dix ans, il n’était pas revenu dans sa ville natale de Salé. Aujourd’hui, il doit se rendre sur place pour liquider sa part de l’héritage. Il revient aussi pister l’ombre de Najib, son premier amour, qui l’avait délaissé pour filer avec… un colonel de l’armée. Que certains disent désormais mort et d’autres, trafiquant de drogue « niveau international ». Pourquoi donc vient-il hanter les songes de Youssef jusqu’à prendre voix dans ce livre ? La vérité se trouve dans ce quartier de Salé : le Bastion des larmes, qui donne son titre au roman. Il y a beaucoup de Taïa dans Youssef. À travers son personnage, comme…

L’ombre du tabou

AURÉLIEN BELLANGER ■ ABEL QUENTIN La fiction en pleins débats

Les nouveaux romans d’Aurélien Bellanger et d’Abel Quentin n’ont pas seulement en commun d’être parmi les plus attendus de la rentrée, ils relèvent aussi d’un même genre, celui du « roman d’idées », qui met en scène les grandes batailles idéologiques de notre temps. Le sujet de Bellanger, c’est la laïcité à la française ; celui de Quentin, l’écologie et la critique de la croissance. L’un raconte la lutte entre les tenants de la laïcité « républicaine » et ceux de la laïcité « ouverte » ; l’autre, l’opposition entre les partisans du capitalisme vert et ceux de la rupture avec le système capitaliste. Attention, ces deux livres sont bien des romans, non des essais déguisés ; le défi des auteurs consiste justement à transformer leur matériau en récit, avec…

AURÉLIEN BELLANGER ■ ABEL QUENTIN La fiction en pleins débats

Partir, c’est aussi revenir. Après sa rupture avec Thomas, Tass décide de quitter la métropole pour retrouver la Nouvelle-Calédonie, le territoire qui l’a vue naître. Y reprendre son poste de professeure, c’est appréhender différemment Nouméa et tous les lieux fréquentés par ses ancêtres depuis leur arrivée par bateau, quelques siècles plus tôt. Des histoires se dessinent, marquées par d’éternelles failles d’obscurité. Dans l’une de ses classes, des jumeaux disparaissent. Tass ne peut s’empêcher de partir à leur recherche, reconstituant également un pan de sa propre histoire. « Frapper l’épopée », c’est considérer les aspérités d’une terre pleine de non-dits, dont Alice Zeniter s’empare avec brio à travers la fiction et l’Histoire. FRAPPER L’ÉPOPÉE ALICE ZENITER 352 P., FLAMMARION, 22 €…

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE FRANÇAISE Plan de fable C’est peut-être l’un des vices des rentrées littéraires : mettre plus volontiers en avant des ouvrages explicitement en lien avec des préoccupations sociétales contemporaines (lire notre ouverture ci-contre). Pour autant, il convient de ne pas mettre de côté, loin de là, des livres qui jouent la carte de la fable, qui plus est lorsqu’ils sont portés par une indéniable maestria de fond et de forme. On pourrait, à ce titre, évoquer l’amusant Aux marges du palais de Marcus Malte (Zulma) – « inspiré d’une histoire qui pourrait bien être vraie » si l’on en croit son sous-titre. Une peinture quasi rabelaisienne et punk de la « République Médiocratique de la Frzangzwe », ressemblant fort à la France d’aujourd’hui. Un territoire d’inégalités…

LES REFLETS DU HASARD HÉLIOS AZOULAY 160 P., LE ROCHER, 15,90 € Dans ce roman d’une poésie furieuse, le narrateur gagne le pactole au loto mais décide de ne pas empocher son chèque. C’est l’occasion d’une réflexion inspirante sur le hasard, cette « pudeur du divin ». Mais au bistrot Le Diplomate, où il a ses habitudes, son histoire finit par se savoir, et l’on en vient à reprocher à ce juif de voler l’argent qu’il refuse pourtant. Voilà qui est kafkaïen : Hélios Azoulay renverse l’inversion des valeurs qui caractérise la mentalité paranoïaque et perverse. Comme toujours, ce clarinettiste compose son roman en trois mouvements, du plus terrestre au plus apocalyptique. Mais, même dans un hôpital psychiatrique, c’est bien l’amour et l’enfance que notre punk éthique fait triompher. Les…

NINA LEGER La ruine au nom de l’or

Certaines dates sont à marquer d’une pierre blanche, d’autres, d’une pépite d’or. Le 24 janvier 1848, un charpentier découvre de l’or dans l’American River, en Californie. Le précieux métal « vivait là depuis longtemps, était connu depuis longtemps », mais personne n’avait songé à lui associer les mots « investissement » et « profit ». Cette analogie réalisée, la ruée vers l’or peut commencer. Des bras armés de pelles et de pioches affluent depuis l’Est. Des villes sortent de terre et parfois des eaux, comme Oroville, au nord de Sacramento. « Un nom qui commence par ce que le lieu a déjà donné, oro en espagnol, et se termine par ce qu’il ambitionne de devenir, ville en français. » La destinée manifeste est en marche. Peu à peu, les immenses…

NINA LEGER La ruine au nom de l’or

Le sable l’emportera

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE FRANÇAISE Son deuxième roman, La Disparition de Josef Mengele, avait impressionné le jury du prix Renaudot. En déroulant la destinée du « médecin d’Auschwitz », une documentation approfondie transparaissait tout au long de l’ouvrage. Si Mesopotamia s’éloigne géographiquement, on y retrouve les codes d’un bon cru signé Olivier Guez : une biographie historique romancée, qui ne manque ni de style ni de panache. L’existence singulière de Gertrude Bell y est narrée, et, si son nom n’évoque rien, c’est essentiellement parce qu’elle est l’une des nombreuses femmes dont l’action a été évincée de l’Histoire au cours du siècle dernier. Archéologue, espionne, exploratrice polyglotte, diplomate, la jeune Britannique s’est imposée au Moyen-Orient au cœur d’une lutte entre empires coloniaux. L’or noir et le territoire ottoman sont alors…

Le sable l’emportera

Dans le puzzle de la guerre

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE FRANÇAISE Durant la Seconde Guerre mondiale, ils furent près de 134 000 Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans la Wehrmacht. On les appelle les « Malgré-nous ». Le père de Joël Egloff fut l’un d’eux. De son histoire l’auteur ne sait pas tout. Il y a la pudeur naturelle du père, le traumatisme de la guerre, l’envie d’oublier, peut-être. Il y a ce que Joël Egloff sait, ce qu’il devine, ce qu’il espère ou fantasme. Il ne s’agit pas d’un roman historique mais d’un texte personnel, écrit par un fils pour son père, comme pour reconstituer un puzzle dont les vides sont comblés par l’imagination. Joël Egloff aborde ce sujet grave avec ironie, celle qui toucha, en 1943, la vie d’un jeune homme français…

Dans le puzzle de la guerre

LE NOUVEAU CAMILLE PASCAL Chaque époque a ses Christophe Rocancourt, et il semblerait que le règne de Louis XVI ne fasse pas exception, avec la comtesse Jeanne de la Motte-Valois. Camille Pascal nous dresse un portrait fascinant de cette intrigante. Escroqueries, crimes de lèse-majesté… Pour retrouver le rang perdu par ses illustres aïeux, cette grande stratège, au don inné de comédienne, est prête à tout, y compris à signer de faux documents au nom de la reine Marie-Antoinette, afin de « soutirer au trésorier de la Marine des sommes folles pour financer un collier autrefois composé par ces fous de joailliers dans l’espoir de le faire porter à la du Barry, une gourgandine, un collier, ou plutôt un harnais dont elle n’avait jamais voulu et qu’elle ne porterait pas »…

3 RAISONS DE LIRE

LE NOUVEAU PHILIBERT HUMM Pour sa fantaisie Tous les mois s’empilent dans les librairies des témoignages sinistres et des essais pontifiants. Rien de tout ça chez le jeune auteur : sa légèreté fait du bien. Roman de gare est à la hauteur de son titre. Philibert Humm raconte sur le mode humoristique les aventures de deux camarades qui, souhaitant devenir vagabonds, se cachent dans un vieux wagon à essieux. À partir de là, ils se laissent porter, voient du pays, et l’auteur digresse et rigole. Ceux qui l’aiment prendront ce train. Pour sa nostalgie Dans ce livre sont cités en vrac Hugo, Gabin ou Jules Renard, qui écrivait dans son Journal : « Je n’ai jamais eu la chance de manquer un train auquel il soit arrivé un accident. » Humm…

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RAISONS DE LIRE

EMMANUEL RUBEN Le futur et son double

On a connu Samuel Vidouble il y a dix ans dans La Ligne des glaces, le troisième roman d’Emmanuel Ruben, qui allait en faire son double aux mille visages. On le retrouvait dans Sabre (2020) puis dans Les Méditerranéennes (2022), fictions foisonnantes et voyageuses où l’écrivain explorait ses origines familiales composites. Celui-ci poursuit dans cette veine, mais change de braquet. Si le titre évoque Robert Merle (Malevil, 1972), c’est que l’histoire commence là aussi dans l’avenir : en 2036. Six mois après une catastrophe nucléaire dans la région où Vidouble passa sa jeunesse, près de Creys-Malville, en Isère, où le gouvernement a relancé la centrale qui avait été arrêtée en 1998. Après, aussi, qu’une pandémie a – c’est devenu courant – forcé tout le monde au confinement. Vidouble est dans…

EMMANUEL RUBEN Le futur et son double

Libérer, résister

« Les histoires veulent trop de ceux qui les écrivent », affirme Richard Morgiève, coutumier des ellipses et du mystère. Il nous livre avec La Mission un roman initiatique troublant qui résonnera longtemps chez son lecteur, l’histoire d’un enfant de l’Assistance promis à une vie de servitude que le hasard fait rejoindre la Résistance le jour même du Débarquement. Rarement les périls et les ambiguïtés de la Libération furent aussi bien décrits que par le truchement de Jacques, qui découvre la trahison, l’amour, le deuil, la bonté, le capitalisme et l’émancipation, le tout dans une langue admirablement ajustée à cet amoureux de la nature intègre et sensible. Les mille lectures possibles de son destin font que beaucoup reviendront à cette Mission-là. LA MISSION RICHARD MORGIÈVE 240 P., JOËLLE LOSFELD, 20…

Libérer, résister

ABIGAIL ASSOR • REBECCA LIGHIERI Une jeunesse passe

Remarquée avec Aussi riche que le roi (prix Françoise-Sagan 2022), Abigail Assor s’est retrouvée confrontée au choix cornélien qui touche un jour tous les jeunes écrivains. Faut-il continuer à creuser son sillon ou prendre le lecteur à contre-pied ? Dans La Nuit de David, conservant cette même langue poétique et habitée où amour et violence ne cessent de s’entrechoquer, la romancière a finalement fait le pari de l’audace et de la nouveauté. À la course effrénée, pop et féministe dans le Casablanca des années 1990 succède un drame familial déchirant, en vase clos. Olive se remémore son enfance, dix années passées main dans la main, à cor et à cri, aux côtés de David, un jumeau maléfique avec lequel elle a tissé un lien indéfectible. « Le diable », «…

ABIGAIL ASSOR • REBECCA LIGHIERI Une jeunesse passe

Chercher la vie

C’est un huis clos à ciel ouvert, un hameau perdu dans l’arrière-pays, là où le temps attend son heure. Dans son précédent roman, On était des loups, Sandrine Collette suivait ses personnages à la trace. Ici, elle les regarde survivre, affronter les hivers, travailler la terre. Les jumelles Ambre et Aelis mènent la danse, la vieille Rose se tait, Bran témoigne de ce lieu qui s’essouffle. Jusqu’à l’arrivée de Madelaine, qui va réveiller la vie et provoquer un drame. Chez Sandrine Collette, tout se mêle toujours, la nature et les pierres, l’envie et la peine, les ombres sous le soleil. Madelaine avant l’aube est un roman puissant qui bouillonne de sentiments. Les hommes ne savent plus aimer, les femmes regardent loin. Dans tous ses livres, l’autrice réinvente des mondes qui…

Chercher la vie

PAULINE CLAVIÈRE • CÉLINE LAURENS • PIERRE DARKANIAN Place aux sorcières

Sorcières. C’est ainsi que les hommes qualifient celles qui leur échappent, dont ils ne parviennent à définir la place dans leur société, et qui vivent à l’écart dans des maisons menaçant ruine, à l’image de Brunhilde, l’Allemande débarquée dans un village du Cantal avec son amie Mariella, un soir de l’été 1977. Le bal du 14 juillet se préparait, bientôt perturbé par l’arrivée de ces femmes jeunes, belles et libres. Brunhilde la blonde et Mariella la brune attirent les regards, déchaînent les rumeurs. Pourquoi, alors que les hippies convergent vers l’Inde et la Californie, choisissent-elles de s’installer dans cette campagne reculée ? Pourquoi y restent-elles, en dépit de la défiance, au point de voir leur histoire mêlée à la légende locale ? « Pourquoi personne, jamais, ne les a oubliées,…

PAULINE CLAVIÈRE • CÉLINE LAURENS • PIERRE DARKANIAN Place aux sorcières

MAYLIS DE KERANGAL Crime à débattre

POUR « Un thriller haletant sur l’identité » Frantic. Dès l’abord du nouveau roman de Maylis de Kerangal, le film de Polanski vient en tête. Un Américain débarque à Paris avec sa femme, qui se trompe de valise à l’aéroport et disparaît très vite. On l’a prise pour une autre. Dans la première scène de Jour de ressac, une femme à Paris reçoit un coup de fil de la police du Havre : le corps d’un homme a été retrouvé. « Une affaire vous concernant », révèle simplement le flic. Dix-sept ans après Dans les rapides, histoire de l’amitié entre trois adolescentes fans de rock et mortes d’ennui dans leur ville moyenne face à la mer, Maylis de Kerangal revient au Havre, où elle a passé son enfance. L’aire de…

MAYLIS DE KERANGAL Crime à débattre

3 POCHES EN PLUS

UNE SOMME HUMAINE MAKENZY ORCEL 560 P., RIVAGES POCHE, 12 € « Tout s’éclaircit à partir de la mort », écrit la narratrice dès les premières pages d’Une somme humaine, au moment où elle se jette sous les rames du métro, à Paris. Ce qui suivra est un cri, sous forme d’autobiographie fictive : quelles raisons, quelle destinée jusqu’à ce geste ? Sous la plume hagarde, subversive et bigarrée d’Orcel, cette vie se raconte à travers plusieurs boucles, plusieurs cycles, plusieurs mondes. Le tout par la voix intrépide de l’écrivain haïtien. Hubert Artus CHIENNE ET LOUVE JOFFRINE DONNADIEU 400 P., FOLIO, 8,90 €. EN LIBRAIRIES LE 12 SEPTEMBRE. Dans Chienne et louve, Joffrine Donnadieu retrouve l’héroïne de son premier roman, Une histoire de France, qui ici a 20 ans et…

3 POCHES EN PLUS

Grosses ficelles et savoir-faire

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LES DÉCEPTIONS Un succès de la rentrée, c’est parfois une affaire de recette : une période souvent saluée par les prix littéraires (la Seconde Guerre mondiale), une histoire vraie pour s’offrir de gros sujets dans les médias non spécialisés, un auteur repéré par la critique avec son livre le plus accessible, sans oublier le mot « amour » dans le titre (ce vieux truc d’éditeur). Autant dire que « Vous êtes l’amour malheureux du Führer », autour de l’architecte du Reich Albert Speer, signé Jean-Noël Orengo, a bien des atouts. Problème : lorsqu’on connaît la méthode, difficile d’être totalement convaincu. Oui, le sujet de cet ouvrage dont on devrait beaucoup parler est passionnant : la vie de ce trouble personnage pour lequel « le guide »…

Grosses ficelles et savoir-faire

Giverny à Auschwitz?

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LES DÉCEPTIONS Grégoire Bouillier remet en branle le petit cirque du Cœur ne cède pas : son alter ego Baltimore, sa complice Penny, sa manière d’écrire. Son sujet cette fois-ci ? Les Nymphéas de Monet qui, quand il les a vus à l’Orangerie, lui ont fait une impression, disons, mitigée. « Comme s’il émanait des Nymphéas quelque chose de… triste ? De funèbre ? De morbide ? De délétère ? » De là Le Syndrome de l’Orangerie, enquête de détective sur ces toiles dont il entend percer les secrets. Si le fond est passionnant, le sentiment de répétition constitue la limite de ce livre par ailleurs si brillant (remettons à échelle !). Dans Le Cœur…, Bouillier imaginait un ouvrage composé uniquement d’exergues ; il passe ici…

Giverny à Auschwitz?

De l’humanisme opportuniste

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LES DÉCEPTIONS Au début de ce roman de Véronique Olmi – qui s’autorise avec autosatisfaction toutes les grosses ficelles –, Ben, altermondialiste au grand cœur, va porter secours à son demi-frère, Jimmy, qui a été placé en foyer. Pourquoi donner des prénoms pareils à ses personnages ? On sait d’expérience que les écrivains bobos se distinguent souvent par leur mépris de classe – on ne s’étonnera donc pas que les pauvres Ben et Jimmy parlent comme des zadistes, mais on s’abstiendra de rire. Par charité. Bref. Dans la deuxième partie du Courage des innocents, Ben file en Ukraine aider des enfants qui risquent d’être kidnappés par l’armée russe. Il faut suivre ses péripéties à Kherson : sur le terrain de la démagogie larmoyante, Véronique Olmi bat…

De l’humanisme opportuniste

RUBEN BARROUK Le livre des absents

C’est l’un des bijoux de la rentrée ! Paulette, la grand-mère du narrateur, restée vivre à Marrakech, entend un bruit qui la persécute. Sa fille et son petit-fils font le voyage depuis Paris pour l’aider. Mais ils ont beau tendre l’oreille, dans l’ancien appartement familial du quartier du Guéliz, ils n’entendent pas « l’odieux tortionnaire ». Avec une tendresse déchirante, le narrateur observe sa grand-mère, telle la reine Esther dans son royaume perdu. L’ancienne coiffeuse du Tout-Marrakech cueille des fleurs d’oranger dans la rue pour le thé. Elle se déguise pour Pourim, revêtant son plus beau caftan. Elle chasse le bruit à coups d’encens. Elle aime lire des journaux périmés et dresser la table de shabbat pour les vivants et les morts. L’auteur nous offre des pages merveilleuses et proustiennes…

RUBEN BARROUK Le livre des absents

C’est l’histoire d’un sale type

Un premier roman virtuose, dans son écriture et son dispositif. La fausse vraie confession de Marc Pépin, grand reporter au Figaro. « J’ai cinquante-huit ans : il n’y aura pas de retour », déclare-t-il, avec un ton élégant et désenchanté, après avoir retracé l’ennui de ses jeunes années à Thiais. Il a grandi dans la « laideur » de la condition pavillonnaire, modeste et frustrante en tout. Égoïste, Marc a réussi à s’en sortir grâce à sa haine des autres. Devenu écrivain et journaliste par hasard, il est envoyé à la fin des années 1990 couvrir les conflits en Irak. Sa passion pour le métier est tiède. Pire, il ne se sent jamais vraiment concerné. Journaliste et critique littéraire, né en 1990, Youness Bousenna interroge, dans ces Présences imparfaites, ce…

C’est l’histoire d’un sale type

LE CHAGRIN MODERNE QUENTIN JARDON 256 P., FLAMMARION, 19 € Parfois l’humour belge tombe à plat. Paul, héros de ce touchant Chagrin moderne, vient d’en faire l’amère expérience. Jeune espoir prometteur du stand-up bruxellois, il a vu sa carrière s’effondrer après un sketch engagé sur le réchauffement planétaire. Depuis, il rumine. Contre lui-même, comme si ce naufrage était une forme d’autodestruction, mais surtout contre cette société qui décidément ne tourne pas rond. Alors qu’il s’élance avec femme et enfant sur la route des vacances, l’angoisse soudainement monte d’un cran : il lui prend l’envie de tout plaquer et de foutre le camp. Et le trajet en voiture de se transformer en aventure introspective de la dernière chance pour un dépressif écoanxieux devenu la caisse de résonance d’une génération frappée de…

Du temps à tuer

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LES PREMIERS ROMANS Il ne se passe pas toujours grand-chose, dans Après ça, comme cela arrive parfois dans une jeunesse où l’on n’a pas mieux à faire que regarder le temps passer, en espérant ne rien rater ni laisser filer. L’horizon, ici, c’est la Manche, les ferrys qui passent, les pêcheurs qui rentrent. Nous voici dans une ville non située, probablement le Nord ou la Normandie. C’est l’été, la canicule. Max et Lou sont deux camarades de lycée qui passent leurs nuits à monter vers un bunker face à la mer et à descendre les canettes de bière. Deux camarades complices, et tous deux taiseux, avoue le plus jeune (Lou, le narrateur). Les vannes de leurs esprits et de leur mémoire s’ouvrent au bout de la…

Du temps à tuer

Chienne d’époque!

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LES PREMIERS ROMANS Buzuk, en breton, désigne le ver marin dont les tortillons de déjections constellent les plages à marée basse. C’est aussi le nom du petit chien têtu dont Joséphine, bientôt septuagénaire, a hérité de la garde au décès de son époux. L’absence de Jacques pèse d’autant plus que ses enfants la relèguent peu à peu à la marge de leurs existences, ce dont elle s’ouvre à lui dans son journal intime. Joséphine y évoque également un projet de golf qui viendrait privatiser l’îlot Sainte-Anne, pépite verte de la baie de Morlaix. Alors que la résistance locale s’organise autour d’un conseil des sages à cheveux gris, des jeunes de tous horizons projettent de faire du site une authentique ZAD. Joséphine et Buzuk se retrouvent bien…

Chienne d’époque!

Aux célestes paumés

Mon conseil du jour : manger cinq fruits et légumes par jour et dévorer un premier roman. Commençons par deux miracles de chair et de plume. Ils figurent dans la sélection finale du prix Stanislas, le « Goncourt sans Goncourt du premier roman » remis à Nancy, à l’occasion du Livre sur la place. Deux romans parmi cette cinquantaine fringante : Mythologie du .12 et Tombée du ciel, en toute partialité éclairée. Dans cette Mythologie…, signée du Belge Célestin de Meeûs, le « .12 » est un calibre de chasse (comme celui de l’AR-15 utilisé pour tirer sur Donald Trump…). Du 12 destiné aux cailles, faisans et pigeons. Avec Théo et Max en caille et faisan, deux copains de glande et zonage vaguement embrumés à la canette et au pét’…

Aux célestes paumés

James Ellroy Les Enchanteurs

James Ellroy n’est peut-être plus l’agitateur du polar qu’il fut il y a une trentaine d’années, mais il est encore là, et dans une forme quasi olympique ! Fidèle à ce qui a fait sa réputation de romancier : style dégraissé, zéro psychologie, phrases courtes, les faits, rien que les faits. Du comportementalisme à haute dose comme à l’époque du hard boiled – voir Dashiell Hammett, écrivain dont James Ellroy a toujours reconnu l’influence. Les Enchanteurs est le troisième volet d’un nouveau « Quatuor de Los Angeles », entamé avec Perfidia (2015) et La Tempête qui vient (2019), et se concentre sur les derniers jours de Marilyn Monroe. Ellroy reprend un de ses personnages fétiches, Freddy Otash, ancien policier devenu détective privé et spécialiste des coups tordus, et en fait…

James Ellroy Les Enchanteurs

Les lettres américaines au rendez-vous

Si les élections présidentielles ont lieu tous les quatre ans outre-Atlantique, le Festival America, lui, est organisé tous les deux ans depuis 2002. En attendant le verdict des urnes aux États-Unis, vous pourrez vous rendre, du 26 au 29 septembre, à la 11e édition de cette manifestation culturelle sise à Vincennes (Val-de-Marne), mettant à l’honneur les lettres américaines. Avec la venue de grandes figures contemporaines comme Colson Whitehead, Lauren Groff, Nathan Hill, Alice McDermott ou James Ellroy – qui aura droit à un hommage particulier (avec, notamment, une masterclass). À travers de nombreux débats – dont un quelque peu à part avec l’éditeur Francis Geffard, animé par Bruno Corty [voir ci-dessous] –, les écrivains s’exprimeront sur diverses questions sociétales, politiques ou culturelles. Si la part belle sera laissée aux auteurs…

Les lettres américaines au rendez-vous

LITTÉRATURE « US » VERSION DICO

Le journaliste littéraire (français) Bruno Corty nous propose un impeccable Dictionnaire amoureux de la littérature américaine (Plon, en librairies le 12 septembre). De A comme Adrian (Chris) à Z comme Zimmerman (Bob), l’auteur dresse en un peu moins de 200 entrées un grand panorama des lettres venues des États-Unis. S’il insiste essentiellement sur les auteurs, il laisse toutefois la place à quelques livres phares, mouvements, genres ou thèmes plus généraux (11-Septembre, Hollywood ou… le Festival America !). Le tout en assumant, au-delà du contenu informatif et d’une écriture soignée, une part de subjectivité et un autoportrait qui se dessine. Passionnant.…

LITTÉRATURE « US » VERSION DICO

COLM TÓIBÍN Le passé retrouvé

Dans Brooklyn, Colm Tóibín nous livrait en Eilis Lacey sa version d’un archétype prisé de la littérature anglo-saxonne, celui de la jeune Irlandaise émigrée économique aux États-Unis sans l’avoir vraiment choisi, aussi travailleuse que soumise, mais s’émancipant peu à peu. Rentrée au pays après le décès subit de sa sœur, elle y vivait une idylle avec Jim, avant de décider de retourner en Amérique : la nouvelle de son mariage secret avec Tony, plombier italo-américain rencontré dans un dancing, menaçait de s’ébruiter à Enniscorthy. Tóibín entame la suite de Brooklyn sans s’appesantir sur le contexte, mais il laissera assez d’informations au fil du roman pour que le lecteur découvrant son héroïne saisisse dans l’intrigue les nombreuses résonances du passé. Deux décennies plus tard, au temps de Richard Nixon et du…

COLM TÓIBÍN Le passé retrouvé

Je lis donc je suis

S’il existe un endroit capable de rassembler les amoureux des livres à travers le monde, c’est bien une librairie. Dans ce sanctuaire, l’écrivaine sud-coréenne Hwang Bo-reum dévoile l’intimité et les aspirations d’une jeune libraire, Yeong-ju, et de Min-jun, son barista. De nature assez réservée, Yeong-ju passe ses journées à lire derrière sa caisse, évitant tout contact avec ses clients. À mesure que la fréquentation diminue, elle comprend qu’il est essentiel de donner davantage vie à ce commerce. En proposant chaleureusement des cafés, des rencontres avec des auteurs et des clubs de lecture, les curieux du quartier se réapproprient le lieu. Bienvenue à la librairie Hyunam esquisse admirablement toute la beauté et la complexité du métier de libraire, dont les enjeux modernes sont les mêmes partout. L’autrice en fait également un…

Je lis donc je suis

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Climatologie du coup de foudre Ah, l’amour ! Roland Barthes l’a déconstruit en Fragments…, Marcel Proust a consacré sept volumes à étudier ses nuances, et pourtant « on apprend tout de même quelque chose de neuf à son égard », s’étonnait Céline. Aujourd’hui, c’est l’Américain Nathan Hill qui y va de son gros roman analytique, Bien-être. Et il commence très fort – avec 50 pages miraculeuses, qui constituent peut-être la plus belle description d’un coup de foudre écrite au XXIe siècle. Elizabeth et Jack habitent Chicago, l’un en face de l’autre. Souvent Elizabeth espionne Jack en pensant qu’un rebelle comme lui ne pourra jamais aimer une bourgeoise comme elle. Elle ignore que Jack fait la même chose, en pensant que c’est elle qui ne voudra…

3 RAISONS DE LIRE

Les Merveilles de Viola Ardone Un nouveau fait historique Comme Le Train des enfants et Le Choix, Les Merveilles s’inspire d’un fait réel : la loi Basaglia de 1978. Une réforme qui aboutit, en deux décennies, à la fermeture des hôpitaux psychiatriques en Italie, pour les remplacer par des unités de soins et de réinsertion. Avant cette loi, tout enfant d’un parent interné était lui aussi considéré comme fou. Ç’aurait pu être le cas d’Elba, l’héroïne de ce livre… Une fille brise ses chaînes En ce début de décennie 1980, Elba porte le nom d’un fleuve allemand, car sa mère avait quitté l’Allemagne de l’Ouest pour l’Italie, avant d’être internée, enceinte, dans un asile à Naples. Fillette, Elba voyait sa « Mutti » subir des électrochocs. On s’aperçoit un jour…

3 RAISONS DE LIRE

VERA BOGDANOVA Un nouveau roman russe

Assiste-t-on à l’aube d’un nouveau roman russe ? Coup sur coup, deux voix poétiques et furieuses ont soudainement émergé des entrailles d’un pays dont la source romanesque semblait tarie. Difficile d’exister par la plume quand on est constamment écrasé par le poids d’un héritage grandiose, quand la statue du commandeur qui vous regarde porte le nom de Tolstoï ou de Dostoïevski. Alors, pour la jeune génération, il a fallu affûter ses armes et modeler sa colère pour la transformer en matière littéraire. Six mois après la déflagration Sergueï Shikalov et l’époustouflant Espèces dangereuses, c’est Vera Bogdanova qui enflamme aujourd’hui la rentrée étrangère. Le premier a écrit son roman en français, dans la langue du pays qui l’a recueilli, alors qu’il fuyait un durcissement de la législation contre l’homosexualité, la seconde…

VERA BOGDANOVA Un nouveau roman russe

En attendant l’auteur

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Comprendre un écrivain n’est jamais chose facile, particulièrement quand celui-ci se veut insaisissable. Andrea et Tom, un jeune couple, se lancent dans l’ambitieux projet de réaliser un documentaire sur l’écrivain Richard Wechsler. Les débuts sont compliqués : c’est un homme secret, avare de confidences émotionnelles. Il aime boire un Ricard dans son café parisien, laisse planer le doute sur certains aspects de sa vie, car « le silence fait plus d’effet que n’importe quel baratin ». Le jour où le couple se rend en Suisse, dans le village natal de l’auteur, afin de poursuivre la réalisation, Wechsler ne vient pas. Les jours de tournage sont limités ; Andrea comprend rapidement qu’elle devra faire sans lui. En se plongeant dans son œuvre et dans de…

En attendant l’auteur

Sofie, Tobi et compagnie

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Avant de devenir « plus garçon », Tobi Lakmaker, 30 ans, était Sofie, qui publiait l’autofictionnel Ma sexualité en toutes lettres en 2021. Jeune adulte à Amsterdam, Sofie fait moins que son âge, sait « bien peu de choses avec certitude » et a « toujours été à côté de la plaque – avec les garçons comme avec les filles ». Narratrice qui s’adresse à nous, elle est telle cette inconnue qui alpague et impose sa conversation, qui n’en finit plus, intense, intime, qu’on voudrait interrompre, et en fait… non, touché. Où cela nous mène-t-il ? Où veut-elle en venir ? On s’interroge, puis on oublie ; on est juste bien. Tobi Lakmaker est un as du microrécit, du dessin de caractères et des…

Sofie, Tobi et compagnie

Dispersée dans Babylone

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Souvent réduit à un cliché cool, le rastafarisme puise ses origines dans une révolte des descendants d’esclaves en Jamaïque. Au début du XXe siècle, emportés par la vision de Leonard Howell, les rastas ont reconnu en l’empereur éthiopien Haïlé Sélassié leur messie, puis ont voué aux flammes Babylone, c’est-à-dire le système d’oppression regroupant tout à la fois « le colonialisme, le racisme, le capitalisme […] et tous les régimes maléfiques de l’idéologie occidentale qui cherchent à détruire l’homme noir ». Ainsi s’exprime Safiya Sinclair au début de son autobiographie, Dire Babylone. Née en 1984 à Montego Bay, la poétesse a grandi dans une Jamaïque défigurée par le tourisme. Sauvés de leur enfance miséreuse par le rastafarisme, ses parents l’ont élevée dans la mouvance rigoriste…

Dispersée dans Babylone

STEPHEN MARKLEY Courage, fuyons!

Attention ! objecteront les sceptiques, Stephen Markley (auteur du phénoménal Ohio, aimable galop d’essai de 560 pages) n’est pas un prophète. Hélas, nul besoin d’en être un pour se faire une idée de ce qui, sur le plan environnemental, attend notre jolie petite planète. Ce pavé de 1 056 pages, qui commence en 2013, s’achève en 2040 et se lit comme on traverse un paysage en flammes, attrape son lecteur par le col et le cloue littéralement au mur. Écoute ! Regarde ! Tornades, incendies, épidémies, famines, inondations, vagues de chaleur, attentats, migrations massives… Rien ne lui sera épargné de cette épreuve nécessaire. Les hommes tombent, l’humanité courbe l’échine. Le pire ? L’inertie chronique des élites, les mensonges des lobbies, la passivité des puissants, sourds aux cris d’alarme répétés des…

STEPHEN MARKLEY Courage, fuyons!

Juan, pour l’éternité

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Témoignages biffés, archives en noir et blanc montrant des corps dénudés aux visages floutés. On entre dans le deuxième roman de Justin Torres comme dans une œuvre policière, ou expérimentale. La fascination se teinte d’indignation quand on comprend que l’auteur, en 2012, du premier roman Vie animale a créé ce dispositif captivant pour faire surgir les voix d’êtres offensés et effacés de l’Histoire. Blackouts commence et s’achève dans « le Palais », une résidence décatie sise en plein désert, où s’est retranchée une communauté queer. Le jeune narrateur y retrouve Juan, un ami avec lequel il a autrefois séjourné en hôpital psychiatrique. Tout se passe là, au chevet de cet homme mourant, et c’est d’une puissance poétique et politique formidable. À son ami, Juan…

Juan, pour l’éternité

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Reconnue pour ses récits de non-fiction (L’Autre Guerre ; Les Suicidés du bout du monde), l’Argentine Leila Guerriero voyage souvent, d’un continent à l’autre, en terres espagnoles. Dans Le Fantôme de Truman Capote, qui accompagne en cette rentrée les 100 ans de la naissance de l’auteur américain, elle séjourne sur la Costa Brava. C’est là que Capote a fui Manhattan et ses fêtes pour écrire le dernier tiers de De sang-froid, son chef-d’œuvre. À merveille, Leila Guerriero replace la figure de l’écrivain dans ce contexte, remonte le fil du passé ; elle espère marcher dans les pas de Capote, saisir la trace d’un séjour de dix-huit mois dont on sait si peu. Mais bientôt l’autrice mène « des enquêtes boiteuses ». Présence fictive, il…

Effluves égyptiens

SPÉCIAL RENTRÉE LITTÉRAIRE • LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Entrons chez Artinos, ce restaurant sur la corniche d’Alexandrie. Un lieu où, signale l’entame de ce roman, l’on a pu admirer les photographies des célébrités internationales qui l’ont fréquenté. Entrons dans la période qui est celle du livre : septembre 1964. Chez Artinos, un seul portrait est désormais aux murs, celui de Gamal Abdel Nasser, le président égyptien au pouvoir depuis huit ans, dont les élans de justice sociale font un peu moins rêver la population, apeurée par un despotisme grandissant. À minuit, quand ferme la salle du bas, un groupe de fidèles monte au premier, où ils boivent, fument, causent : ils appellent « Caucus » ces soirées de palabres. Sur un canevas qui rappellera L’Immeuble Yacoubian (2002), ce nouveau roman d’Alaa El…

Effluves égyptiens

3 POCHES EN PLUS

LA FIN D’UNE ÈRE ELIZABETH JANE HOWARD 688 P., FOLIO, 10,40 € La Fin d’une ère conclut la saga des Cazalet en se concentrant sur les vies de Clary, Polly, Louise et leurs familles dans l’Angleterre des années 1950. Clary continue d’écrire tout en élevant ses enfants. Polly, maintenant mère, cherche un équilibre entre ses aspirations et ses devoirs domestiques. Louise, confrontée à des mariages échoués, cherche sa place dans un monde en mutation. L’autrice offre une fin émouvante à cette chronique familiale captivante. Simon Bentolila REINE D’UN JOUR KIRSTIN INNES 512 P., MÉTAILIÉ, 13 € Dans ce roman kaléidoscopique intense, l’écrivaine écossaise revient sur le destin d’une étoile filante de la pop, Clio Campbell. Qui était cette chanteuse engagée, connue pour un unique tube des années 1990, Rise Up,…

3 POCHES EN PLUS

MARIANA ENRIQUEZ La créature de l’ombre

«Silvina Ocampo n’aimait pas être prise en photo. » Dont acte : La Petite Sœur, monographie de Mariana Enriquez, n’en contient aucune. Il ne s’agit pas tant, cependant, de rehausser l’aura de mystère qui nimbe cette fascinante créature que d’en mieux saisir l’intime essence. Petite sœur, donc, de Victoria Ocampo – figure emblématique des lettres argentines qui attirait sur elle l’essentiel de la lumière –, épouse d’Adolfo Bioy Casares (qui la trompait et l’adorait), lui-même grand ami de Jorge Luis Borges, souvent, donc, fourré chez le couple (« Qu’est-ce qui peut bien les amuser autant, ces imbéciles ? »), Silvina écrivait, elle aussi, des contes outranciers, dérangeants, lardés de fantasmes et d’évocations funèbres, à la lecture desquels on comprend vite pourquoi Mariana Enriquez, sa digne héritière au domaine des ténèbres,…

MARIANA ENRIQUEZ La créature de l’ombre

Orwell et les dames

Hasard du calendrier, la rentrée nous apporte deux romans étrangers sur George Orwell. Le premier, Julia, de Sandra Newman, est une réécriture de 1984 du point de vue de Julia, la maîtresse de Winston Smith. Un projet culotté mais réussi : l’autrice trouve la bonne distance entre appropriation et fidélité, inventions et citations. L’exercice a certes ses limites, mais le décalage né de la focalisation sur un personnage de femme ajoute des dimensions intéressantes au récit d’Orwell. Sandra Newman remporte en cela son pari : mettre en lumière les sujétions spécifiquement féminines de la vie dans un régime totalitaire. Anna Funder, elle, s’intéresse à Eileen, la femme d’Orwell, dont le rôle a toujours été minoré, selon elle, par l’auteur et par ses biographes. Las ! Dès les premières pages, L’Invisible…

Orwell et les dames

Délire de survie

SCIENCE-FICTION Grotesque, cruel, drôle par moments, déchirant parfois, ce premier roman n’a vraiment rien d’amical. Et c’est tant mieux ! Car ses charmes lynchiens en auraient sans nul doute été amoindris. La jeune trentenaire Missouri Williams, née en Angleterre et installée à Prague, s’est inspirée de la région où elle vit pour bâtir le décor de cette féerie post-apocalyptique, qui la voit guider d’une main étonnamment ferme le bateau ivre de son imagination. L’histoire de La Doloriade est celle d’une tribu de survivants minée par les pratiques incestueuses. Impitoyable mère supérieure, « assez vieille pour se rappeler d’autres lieux et d’autres pluies », « la Matriarche » règne en pythie sur cette menue communauté et sur ses terres gorgées de poison. Dolores, « la pauvre et flottante Dolores », est…

Délire de survie

Dur dur de faire des bébés

SCIENCE-FICTION Depuis sa parution, en 1985, La Servante écarlate de Margaret Atwood ne cesse de féconder les imaginaires des nouvelles générations d’écrivains, plaçant la question de la fertilité au centre de la science-fiction. Dans Fragile/s, Nicolas Martin, journaliste et ancien animateur sur France Culture, imagine une France au bord de l’implosion alors que les naissances s’effondrent, que la majorité des nouveau-nés sont de sexe féminin et que les rares garçons sont atteints du syndrome de l’X fragile. Face à la menace de l’extinction, mais aussi par ambition eugéniste, le pays bascule dans la dictature et développe des programmes génétiques expérimentaux de la dernière chance. Grâce aux relations de son mari, Typhaine est l’une des 1 500 élues et accouche miraculeusement d’un garçon sain. Nolan grandit, développe une intelligence et des…

Dur dur de faire des bébés

D’amour et de sang chaud

Bonne nouvelle ! Le lectorat français de Scarlett St. Clair n’a nul besoin d’attendre une suite à la publication du dernier tome d’Hadès & Perséphone. La sulfureuse série, vendue à un million d’exemplaires, cède aujourd’hui la place à un tout autre univers : Adrian x Isolde. Le roi de la guerre et du sang. Ici, point de dieux et de déesses, mais une monarchie vampirique plutôt surprenante. Cela fait des années qu’une guerre sévit et, pour y mettre un terme, Isolde doit épouser le ténébreux roi des vampires, Adrian Aleksandr Vasiliev. Ce sacrifice difficile devrait aboutir à l’assassinat de ce dernier. Malheureusement, la jeune dévouée échoue dans son dessein et se voit menacée par le monarque d’être assignée au rang de morte-vivante si elle tente de nouveau de le tuer.…

D’amour et de sang chaud

OLIVIER TRUC Retour en Laponie

En janvier 2023, un gisement exceptionnel de terres rares a été découvert au cœur de la Laponie. Une aubaine pour le gouvernement suédois et pour l’Union européenne : ces métaux devraient permettre d’accroître l’indépendance énergétique. Problème : il faut pour cela creuser des mines sur le territoire ancestral des Samis, dernier peuple aborigène d’Europe. Telle est la réalité, dont le journaliste (pour Le Monde, en Suède) et écrivain Olivier Truc se sert dans ce cinquième volet de son cycle sur la « police des rennes » inauguré avec Le Dernier Lapon (2012). Direction Kiruna, ville sise dans la partie suédoise de la Laponie – territoire entre la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie. Retrouvailles avec Klemet Nango et sa cadette Nina Nansen, tous deux enquêteurs au sein de…

OLIVIER TRUC Retour en Laponie

L’Amérique du côté obscur

Le racisme. Ce poison de l’Amérique, et d’ailleurs aussi, malheureusement, qui fracture la société à l’heure où certains s’enthousiasment pour Trump, quand d’autres crient à l’injustice et scandent « Black lives matter ». David Joy, lui, auteur de ces Deux visages du monde, tente de comprendre ce qui sépare ces populations et ce qui les relie pourtant. Il insiste justement sur la façon dont ce poison se répand sans faire de bruit. C’est ce que veut dénoncer Toya Gardner, venue voir sa grand-mère en Caroline du Nord, d’où sa famille est originaire. Ici, même les hommes les plus tolérants, les plus ouverts, les plus altruistes trimballent un passé construit sur la ségrégation raciale. Mais c’est loin, tout ça. C’est fini. Et le Ku Klux Klan n’est plus qu’une mauvaise farce.…

L’Amérique du côté obscur

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